[Image datant de décembre 2007]
Je vais y arriver. Voilà ce
qu'elle s'est dit, un soir, après avoir acheté ce joli
petit jean taille basse.
Du 32. celui des marques de star. Celui
que portent les mannequins.
Elle se sent toute boudinée dans
son Jean actuel. Pourtant c'est un gros 38... Un gros 38. c'est
pourtant la taille nationale et encore, la taille rêvée.
Mais Mary a l'impression de se trouver dans un 50.
Je suis anormale. Mais ça va pas
durer.
Mary commence bien, elle achète
tout zéro pour cent. Mange des fruits, du poisson poché
et des œufs durs. Elle a bannis le chocolat, déprime un peu
mais ça passe. Petit à petit, elle se sent forte. Elle
maitrise, elle va devenir belle.
Mary dégringole, aussi bien sur
la balance que dans les escaliers. Où en est-elle maintenant
dans les tailles? Elle n'en sait rien, elle n'ose pas voir, elle
garde ses vieux jeans auxquels elle met des ceintures. Sa mère
fronce les sourcils quand elle boude son poisson maintenant, Mary ne
mange plus que des légumes vapeurs, alors pour cacher qu'elle
est forte et que tout marche, elle a récupéré
ses pulls trop larges.
Petit à petit la nourriture la
boude elle aussi, Mary n'a plus faim, elle se sent légère
quand elle a le ventre vide, tellement légère, que
lorsqu'il est plein, elle le vide elle même.. Avec deux doigts
dans la gorge les soucis s'envolent, inutiles de bouder l'assiette de
maman, puisque rien ne reste... Et quand elle n'est pas là, Mary
vide les pots de yaourt et les conserves dans un sac poubelle qu'elle
met directement dans la grande poubelle du jardin. Comme ça
maman voit les boites vides et une assiette sale sur l'évier,
et la nourriture n'est pas entrée dans le ventre de Mary...
Mais elle n'est pas dupe maman, elle
est juste perdue. Elle ne sait pas comment faire. Parce qu'elle l'a
vu, elle l'a vu monter matin midi et soir sur la balance, elle n'ose
pas la retirer parce qu'elle l'a vu se mettre à stresser le
Week-End dernier chez son parrain, quand elle ne savait pas s'il y
avait une balance dans la salle de bain...
j'aurai du emmener la mienne se dit
Mary.
Mary flotte. Elle flotte dans ses
vêtements et dans sa tête, elle est la première de
sa classe et la première à regarder par la fenêtre
vers une utopie sans nourriture, sans twix et nutella. Parce qu'elle
en raffolait Mary. Tellement qu'elle en mange, la nuit, quand elle se
relève, elle avale tout, jusqu'à ne plus pouvoir
avaler. Son ventre est lourd, il lui fait mal, alors elle boit
beaucoup d'eau jusqu'à suffoquer, et tout repars... Dans le
beau tourbillon en porcelaine..
Maintenant Mary est aussi fine que les
galettes de sarrasin que fait sa grand-mère. Son oncle dit
même qu'elles n'ont qu'un côté tellement elles
sont fines, alors quand il l'a traité de galette, Mary a rêvé
de n'avoir plus qu'un côté elle aussi..
Plus ça va et plus elle essaye
toutes les solutions. Les médicaments coûtent cher mais elle
essaye, pourtant ça ne marche pas très bien. Alors elle
reste aux bonnes vieilles méthodes, maintenant, elle compte
les feuilles de salade. Maman ne sait plus quoi faire, le quotidien
de Mary est entré dans celui de la maison, du coup elle pleure
la nuit quand elle entend la porte de Mary s'ouvrir. Elle écoute
ses petits pas de plume sur le plancher qui ne craque même
plus, la porte de la cuisine, le bruit du micro-onde.. et celui de la
chasse d'eau, plus tard.. Elle se rendors et le lendemain se bat pour
lui faire avaler un peu plus de salade.
Mary tombe à la fac, elle a
plein de petites étoiles autour de la tête, tout tourne,
c'est drôle, elle ne comprend pas, et pourquoi tout le monde
s'inquiète? Elle se sent très bien Mary, faut juste
qu'elle dorme un peu... Et cette fichue salade qui pèse dans
son ventre.. Elle n'aurait pas dû accepter cette feuille de
plus. La voilà qui pleure, c'est sûr, demain, sur la
balance,son poids aura augmenté.
Mais le lendemain la balance marque
encore 300 grammes en moins.
C'est le grand jour aujourd'hui, Mary a
atteint le poids qu'elle s'était fixé au début,
elle l'a tellement atteint qu'elle en est plusieurs kilos en dessous.
C'est bon, elle peut le mettre ce jean, qu'elle a acheté il y
a plus de huit mois.
Soudain Mary se met à pleurer
devant la glace. Elle se regarde, dans ce jean taille 32. Mon dieu.
Il est tellement large qu'on dirait
qu'elle a mis le pantalon de son grand père. Elle ne ressemble
à rien dedans. Elle est si maigre qu'on se demande si elle
tien debout. Dans ce jean taille basse qui repose sur ses hanches
osseuses comme un pantalon baggy, Mary pleure. On dirait une petite
fille dans le jean de sa maman. Dans un jean taille 32.
Mon dieu. Se dit-elle. Et Mary pleure.
Je suis.. je suis... Je suis énorme....
Coffee_Chokoa (c)